Parlons-en ! Haut, fort et clair !
Parlons-en ! Haut, fort et clair !
André Menras / Hồ Cương Quyết
Hier, le 5 juin 2011, je suis allé manifester ma colère envers les dirigeants chinois ainsi que mon soutien total au peuple vietnamien et aux peuples amis des pays de l’ASEAN que la "langue de bœuf" (*) chinoise veut déposséder de leurs espaces maritimes et insulaires si nécessaires à la vie du présent et à la prospérité du futur. Je l’ai fait comme un soulagement de l’amertume accumulée pendant de long mois et même de longues années. Je l’ai fait avec un nombre d’amis dont j’ai partagé la misère et le combat dans les prisons d’une dictature au service de l’agression américaine (**). Ainsi, nous nous sommes retrouvés ,nous les soixantenaires avec l’esprit, le cœur et la fierté de nos vingt ans unis contre une nouvelle agression. Nos slogans étaient clairs et sans haine. Expression d’une force tranquille, presque joyeuse, qui ne connaît pas la crainte. Surtout pas celle des matraques vietnamiennes que nous avons vues de très près.
Nous avons bien voulu répondre aux autorités de la ville, M Nguyễn Thành Tài, Vice-Président permanent du Comité populaire et M. Nguyễn Văn Đua, Secrétaire adjoint du Comité fédéral du PCV de Hồ Chí Minh Ville qui nous ont invités à dialoguer de façon très courtoise. Nous leur avons affirmé notre condamnation sans restriction de l’attitude belliqueuse, expansionniste des dirigeants chinois en Mer de l’Est. Nous leur avons dit notre certitude que Pékin allait accélérer cette politique. Nous les avons assurés que rien ni personne ne pourra étouffer notre colère ni l’empêcher de s’exprimer, que rien n’empêchera la colère patriotique populaire car c’est une colère saine, légitime et nécessaire à la défense du pays. C’est une colère de salut public. Nous avons demandé que le gouvernement et l’Etat vietnamiens crée les conditions pour que cette colère puisse s’exprimer de façon responsable, pacifique, forte, dans le respect de l’ordre mais de façon totale.
André Menras (deuxième, à droite) au côté des militants
du mouvement de la lutte anti-américaine de Sài Gòn
Il arrive un moment où le silence ne protège plus du danger mais au contraire augmente sa menace car il est considéré par l’adversaire comme de la faiblesse . Comment peut-on espérer un soutien de l’opinion publique internationale si on empêche son propre peuple de s’exprimer ? Ce ne sont pas des seules réactions diplomatiques, certes nécessaires, qui amèneront la solidarité dont le Vietnam a terriblement besoin en ce moment. Comment ceux qui se sont appuyés sur la force populaire pour libérer et unifier le Vietnam peuvent-ils aujourd’hui la tenir à l’écart de l’information et de l’action ?
La Chine a décidé d’accentuer son offensive militaire en mer de l’Est. C’est une évidence pour la communauté internationale : parlons-en et fort ! La Chine ne respecte aucun des accords qu’elle a signé : parlons-en et fort ! La marine de guerre chinoise harcèle et terrorise depuis des années les pêcheurs du Centre Vietnam sur leur terrain de pêche traditionnel : parlons-en et fort ! Parlons-en dans la rue, dans les cafés dans les écoles et les universités. Donnons les informations sur le sort des compatriotes pêcheurs harcelés, emprisonnés, piratés, ruinés en Mer de l’Est jusque dans les coins les plus reculés du Vietnam. En un mot : disons la vérité d’une situation d’agression qui empire et s’accélère.
Hoàng Sa (Paracels) et Trường Sa (Spratly) sont au Vietnam ? Ne nous contentons pas de réunions de quelques experts vietnamiens pour l’affirmer confidentiellement auprès de quelques experts internationaux. Bien sûr ces colloques sont importants mais affirmons cette souveraineté dans toutes les écoles du Vietnam, dans les programmmes d’Histoire et de géographie de tout le pays ! J’ai constaté avec surprise et regret que dans lîle de Lý Sơn, île d’où partent régulièrement les pêcheurs pour aller gagner leur vie à Hoàng Sa, île en première ligne dans le combat pour affirmer le droit à souveraineté dans l’archipel, leurs enfants ne connaissent même pas la géographie des îles où leurs pères et leurs grands frères sont arrêtés, emprisonnés, coulés par la marine de guerre chinoise ! Beaucoup de cartes administratives du Vietnam ignorent encore l’île Hữu Nhật et celle de Quang Ánh, dont les noms sont pourtant porteurs de sens car ce sont des ancêtres de la brigade Hoàng Sa (***) qui s’y sont sacrifiés !
Je comprends très bien la situation extrêmement délicate des dirigeants du Vietnam qui veulent éviter de nouveaux sacrifices à leur peuple qui a déjà beaucoup souffert tout au long de son Histoire. Nul n’ignore que la Chine est une puissance économique et militaire qui possède un grand pouvoir de nuisance et de destruction, surtout pour les voisins immédiats comme le Vietnam. Les dirigeants chinois ont déjà montré qu’ils n’hésitent pas à faire couler le sang vietnamien : en 1974, en 1979, en 1988. Aujourd’hui, ils ont décidé de continuer et de saisir toute manifestation de résistance légitime à leur offensive pour en faire une provocation et pour à nouveau tuer, détruire et occuper. Ceux qui ont déjà fait couler le sang de leur propre peuple, de leur propre jeunesse, en 1989, n’ont pas d’état d’âme. Mais la peur n’éloigne pas le danger. Au contraire. Quand vous courrez devant un chien qui vous aboie, il vous poursuit et vous mord. Le champion des plongeurs en eau profonde de Lý Sơn, M Bùi Thượng, 73 ans le sait bien : « Quand vous rencontrez un grand requin, il faut lui faire face et le fixer . Alors, il n’attaque pas »
Il arrive un moment où il faut faire face. C’est une question de survie. Et faire face c’est d’abord parler vrai. J’ai interviewé à Bình Châu et Lý Sơn un certain nombres de pêcheurs qui chaque jour risquent leur vie en sortant en mer. Ils m’ont dit qu’ils rencontraient des groupes de chalutiers chinois qui vernaient pêcher à 20 miles marins à peine de l’île. Ils sont agressifs et organisés, certainement appuyés par la marine de guerre chinoise basée à Hoàng Sa. Aucun des pêcheurs vietnamiens m’a dit qu’il se sentait protégé, soutenu ! lorsqu’un drame arrive, capture, détention, confiscation des prises de pêche ou du matériel, c’est la ruine. Ce sont les dettes énormes qu’il faut rembourser. Et à ce moment là, on se retrouve seul, comme Monsieur Tiêu Viết Là du village de Bình Châu, quatre fois capturé et détenu par les Chinois.. L’aide de l’Etat est dérisoire, quelquefois inexistante. Il faut être héroïque pour continuer à sortir en mer dans ces conditions !
Les veuves des disparus , souvent étrangement dans les parages de l’ écueil de Bông Bay, sorte de triangle des Bermudes de Hoàng Sa, sont seules, bien seules, désespérées car le mari était toute l’économie de la famille. Ventre vide ou plein , tout dépendait de lui. Certaines n’ont même pas d’argent pour construire une tombe du vent, une « Mộ Gió » digne de la mémoire du défunt. La saison des pluies arrivant, pas d’argent pour réparer le toit qui laisse passer l’eau dans la pièce unique de la pauvre demeure. Pas d’argent pour payer les nécessaires cours supplémentaires aux enfants dont le seul espoir réside dans les études.
Ce ne sont pas deux millions de dongs distribués ici ou là par les autorités, tout à fait symboliques, qui vont changer leur sort. Ce ne sont pas les milliards de dongs offerts par de riches business men pour élever des statues patriotiques à Trường Sa qui vont aider ces veuves et leurs enfants à survivre chaque jour. Il faut parler d’elles, très fort. Elles doivent bénéficier d’un d’un régime d’aide national officiel, prioritaire et substanciel pour l’achat de la nourriture de base, des médicaments.. Les enfants doivent avoir la gratuité totale des études et des soins. Ils doivent être considérés comme des pupilles de la nation. Les protéger, c’est protéger la mer et les îles, c’est protéger le pays concrètement et efficacement .
Je suis aussi très choqué par la façon avec laquelle, dans ce contexte, les autorités atténuent la responsabilité chinoise. Parlez de bateaux « étranges » aux pêcheurs du Centre Vietnam et ils vous reprendront : « les bateaux chinois.. ». Pour eux, il n’y a rien d’ « étrange », la réalité est bien claire. Pourquoi protéger ainsi les coupables en cachant leur nom alors que personne n’est dupe ? Pourquoi obliger les media a utiliser ces termes ? Tout ce qui nuit à la clarté nuit au pouvoir de défense et n’est pas bon pour le pays.
Je voudrais conclure cet article où j’ai jeté à chaud mes sentiments par une dernère réflexion. Beaucoup d’amis me disent : les Chinois ne sont pas les Américains : ils sont très malins et donc plus dangereux. Pas si sûr ! Si leur proximité accentue le danger et en assure la permanence, si leur plan d’expansion violente a été systématiquement orgnisé sur les plans économique, militaire, diplomatique et de propagande intérieure, il n’est pas certain que les conséquences de cette politique d’agression aient été bien pesées. Les dirigeants chinois sont-ils vraiment « malins » ? Dans leur escalade militaire, ils sont en train de créer les conditions pour rapprocher entre eux certains pays de l’ASEAN dont les intérêts sont menacés en Mer de l’Est. Après le Tibet, les Ouïghours, ils sont aussi en train de perdre le peu de prestige qu’il leur reste auprès de l’opinion internationale. Ils sont en train d’ouvrir un autre front qui va fixer leurs forces, détourner des investissements nécessaires au développement économique pour les entraîner vers une coûteuse aventure où ils vont s’enliser. L’époque où ils ont envahi Hoàng Sa et celle où ils ont coulé les bateaux d’approvisionnement vietnamiens au banc Gạc Ma est révolue. Le développement économique est certes beaucoup plus fort mais il nourrit en même temps les contradictions intérieures, accentue les inégalités. Les risques de troubles sociaux ne seront pas effacés éternellement par la répression et mettront en danger ce développement économique de type essentiellement capitaliste. Sans être grand devin, on peut dire que les difficultés pour Pékin sont à venir :c’est une certitude. Alors, les dirigeants devront rendre des comptes devant leur propre peuple et devant ceux qu’ils ont harcelés, réprimés, dépossédés.
Une autre leçontrès simple de l’Histoire que les dirigeants de Pékin veulent oublier, ce qui n’est pas bien « malin ». : rien ne peut se faire durablement contre la volonté des peuples car c’est là où est la force véritable, pas dans la grosseur ou le nombre des canons. A ce sujet, j’ai assisté à Lý Sơn à une cérémonie qui en dit long sur la volonté des familles de cette île . Lorsqu’un pêcheur disparaît en mer pour cause de tempête ou mystérieusement par temps normal, la famille qui a les moyens de payer une sépulture et les bons offices du chaman local, organise une cérémonie très originale, peut-être unique au monde, pour rappeler l’âme errante de leur cher disparu afin qu’elle revienne habiter un corps d’argile recomposé intérieurement et sacralisé appelé « hinh nhan ». Le corps sera ensuite placé dans une tombe appelée tombe du vent : « mộ gió » devant laquelle on pourra normalement venir se recueillir. Superstition ? Certainement. Mais selon moi, le sens de ce rituel est beaucoup plus profond. Il reflète à travers une culture séculaire la volonté des familles très finement exprimée mais extrèmement forte d’arracher à la nature et à l’ennemi le plus précieux de ce qui leur a été volé et de le ramener près d’elles, au pays. Cette cérémonie de plusieurs heures est un message très clair adressé à tout agresseur : « Quoique vous fassiez, nous resterons soudés à nos pêcheurs à notre mer, à notre culture et à notre pays. Rien ni personne nous pourra nous les enlever . »
André Menras Hồ Cương Quyết
Notes de la Rédaction de Diễn Đàn :
source : BBC
(*) Ligne de la "langue de boeuf" en pointillé rouge sur la carte délimitant les "eaux territoriales" que la Chine réclame contre toutes les preuves historiques et également contre les conventions UNCLOS des Nations Unies sur les droits de la mer (les lignes en pointillé bleu indique les zones économiques exclusives des pays riverains de la Mer de l'Asie du Sud-Est, appelée Mer de l'Est par les Vietnamiens, et Mer de Chine méridionale sur les cartes depuis le 19e siècle).
(**) L'auteur, en
compagnie de son
collègue Jean-Pierre Debris, a hissé en 1970 le drapeau du Front
National de Libération du Sud-Vietnam devant l'assemblée nationale du
régime saigonnais. Les deux enseignants ont été emprisonnés par le
dictateur Nguyễn Văn Thiệu jusqu'à la signature de l'Accord de Paris
(1973). André Menras a acquis, à sa demande, la (deuxième) nationalié
vietnamienne. Il garde toujours son nom vietnamien Hồ Cương Quyết que
lui avaient donné ses compagnons de prison.
(***) Les brigades Hoàng
Sa ont été
constituées par les seigneurs Nguyễn au 17e siècle puis
institutionnalisées par l'empereur Minh Mạng au début du 19e siècle.
Elles étaient composées de marins de l'Ile de Lý Sơn (appelée aussi Cù
Lao Ré).
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