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Quand le paysan porte le deuil de la terre

- Nguyễn Thị Từ Huy — published 13/05/2012 12:47, cập nhật lần cuối 13/05/2012 14:11



Quand le paysan
porte le deuil de la terre


Nguyễn Thị Từ Huy



Pour désigner le territoire national, les Vietnamiens accolent deux mots : « đất » (terre) et « nước » (eau), synthétisant ainsi les deux éléments constitutifs de leur espace. Le mythe fondateur de la nation vietnamienne, celui des descendants « du Dragon et de l’Immortelle », évoque aussi terres (dont les montagnes) et eaux. Lorsque An Dương, le roi de la légende, a perdu ses terres, il a choisi les eaux (la mer) pour y mourir. Beaucoup a été dit et écrit sur la signification de la terre et de l’eau, il est superflu d’y revenir.

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Les paysans de Vụ Bản (Nam Định)
face au pouvoir
(archives Nguyễn Xuân Diện)

Ce n’est pas par hasard que les paysans de Nam Định ont porté récemment le bandeau de deuil dans leur ultime tentative de défendre leur terre nourricière. Ils savaient à l’avance que la terre leur serait enlevée, et avec elle, leur vie, leur âme. La terre est sacrée. Elle est pour ainsi dire l’essence du paysan, un constituant fondamental de son identité. Sans terre, il n’est pas de paysans. C’est une évidence, mais il y a plus : l’existence du paysan est liée à la terre, il est « face à face avec la terre, le dos tourné au ciel » sa vie durant. Ce « face à face » tisse un lien spécial entre le paysan et sa terre, lien qui n’existe plus pour les paysans des pays hautement industrialisés. La terre du paysan vietnamien est devenue sa chair, sa vie même. C’est précisément pourquoi il porte aujourd’hui le bandeau de deuil. Un deuil que ne sauraient jamais comprendre ceux-là qui se sont emparés de sa terre, pour qui elle n’est que source de profit.


Le paysan porte le deuil de la terre, le pêcheur celui de la mer, et les Vietnamiens entrent en deuil de leur pays. Regardez comment le gouvernement d’un pays tel que les Philippines défend son espace marin, et voyez comment à l’inverse celui du Vietnam se comporte face aux menaces quotidiennes, multiformes venues du Nord. Toute personne pourvue du moindre esprit d’analyse et d’une parcelle de sensibilité ne peut qu’être saisie d’un sentiment de deuil. Ce sentiment qu’un paysan de Văn Giang a su si bien exprimer le jour où sa terre a été confisquée : « Ce pays est perdu ».


Pourquoi les paysans, en perdant leur terre, pensent-ils avoir perdu leur pays ?


Quand ceux qui tiennent en mains le destin du pays soutiennent les accapareurs de terre, le terre ne représente rien de plus, pour les uns comme pour les autres, qu’une valeur marchande, une source de super-profit. Quand la terre ne présente plus aucune valeur morale, lorsque les gouvernants (collectivement, et non pas individuellement) répriment de pauvres paysans, leur ôtent la vie pour servir des intérêts privés, comment peut-on croire qu’ils défendront ces terres et ces eaux qui n’ont de sens qu’en tant que valeur morale ? Quand l’armée et la police dont la mission est de défendre la patrie et protéger le peuple matraquent le peuple au grand jour, sur qui celui-ci peut-il encore compter ? Quelles sont les valeurs que défendent l’armée et la police qui ignorent ce que représente la terre pour les paysans dont le sort leur semble indifférent ? La réalité des événements qui se sont produits à Hưng Yên, Nam Định, Hải Phòng et de nombreuses régions du pays, tous reliés à la question de la terre, montre à l’évidence que pour une partie de la société – celle qui a le pouvoir de décision – la terre a depuis longtemps perdu toute valeur morale, devenant une simple source d’enrichissement. Combien de prétendus projets d’aménagement territorial ont ainsi vu le jour depuis près d’un demi-siècle ? Chez les profiteurs, la fièvre de l’expropriation est comme une maladie maligne qui a glacé leur sang et fossilisé leur cœur. Le sentiment humain, la conscience morale, le sens d’équité et de justice semble avoir disparu chez eux. Le plus terrible est qu’ils semblent avoir découvert qu’avec la richesse ainsi accumulée, ils peuvent faire la loi, contrôler le pouvoir politique, la police et l’armée en prime. Ce spectacle se déroule ainsi aux yeux de tous et rien ne semble l’arrêter.


Plus la terre devient l’objet de spéculations en vue de super-profits, plus les valeurs morales se perdent les unes après les autres. Le prix du mètre carré monte, la dignité humaine descend. Ainsi dans cette société, seule une poignée de gens bénéficie d’une vie décente ; tous les autres, qu’ils soient enseignants, fonctionnaires, ouvriers ou paysans, sont condamnés à vivre dans des conditions indignes. Les « écoparks » sont construits au profit des nantis au détriment d’une population acculée à la misère. Plus le prix de la terre monte, moins les terres et les eaux, notre pays, ont de l’importance pour les profiteurs. Voilà pourquoi les paysans pensent que le pays est perdu.


Voilà pourquoi ils portent le deuil de la terre.


Saigon, 9 mai 2012

Nguyễn Thị Từ Huy



traduit par Nguyễn Ngọc Giao

texte original : cliquer ici



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